Risques en santé-sécurité-environnement : un enjeu accru sur le terrain de la RSE (durabilité et vigilance)

MANAGEMENT RH / QVT || Démarches RSE
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17/05/2024 - Sébastien MILLET

Dans un monde en pleine reconfiguration géopolitique et face aux défis immenses qui se présentent pour l’Humanité et le vivant, l’Union européenne continue de suivre sa voie et d’agir avec une vision forte contre vents et marées, notamment pour faire de la « Vieille Europe » le premier continent neutre pour le climat (Green Deal).


Cette ambition de transformation de l’économie vers un modèle plus durable suppose d’inscrire les politiques publiques dans le temps long, avec 3 objectifs essentiels : rediriger les flux de capitaux vers des investissements durables, intégrer systématiquement la durabilité dans la gestion des risques, favoriser la transparence.

Dans ce cadre, de nouveaux instruments juridiques majeurs sont mis en place, avec un déploiement progressif, mais dont la portée extraterritoriale au-delà des frontières de l’UE n’échappera à personne.

Ce nouveau capitalisme durable devra mieux prendre en compte les préoccupations liées à l’environnement, aux droits humains et sociaux et à la gouvernance (critères « ESG »). 

Dans cette nouvelle approche, les sujets liés à la protection de l’environnement, et la protection des personnes en santé-sécurité au travail sont appelés à occuper une place importante.

De manière générale, cela sera décliné sous 2 axes complémentaires :

 

L’exigence de transparence de l’information en matière de durabilité (CSRD)

 

D’une part, de nouvelles obligations de reporting extra-financier plus poussées, instituées par la directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022 dite « CSRD » (Corporate Sustainability  Reporting Directive) *.

*Transposition en France par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales, et ses textes d’application (cf. décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023, décret n° 2024-60 du 31 janvier 2024 et arrêtés du 28 décembre 2023).

Si toutes les entreprises ne seront pas concernées, l’objectif est toutefois d’abaisser significativement le seuil d’obligations par rapport à celui qui existait jusqu’à présent, et de renforcer les exigences qualitatives/ quantitatives du reporting extra-financier (nous n’aborderons pas ici plus en détail le contenu extrêmement complexe du dispositif, notamment en ce qui concerne le champ d’application (seuils), le calendrier d’entrée en vigueur, etc.).

En outre, dans les groupes de sociétés assujettis, il faudra descendre au niveau des entités contrôlées qui devront participer à la remontée d’informations de durabilité fiables, sur leur chaîne de valeur, et selon des exigences méthodologiques nouvelles harmonisées.

Il faudra bien entendu du temps pour s’approprier ces obligations, pour le moins structurantes et sophistiquées, mais les entreprises qui n’auront pas bien anticipé ces évolutions seront impactées négativement et verront leur valorisation se dégrader à terme.
Avec cette nouvelle « comparativité » des entreprises, nul doute que la concurrence se jouera aussi sur le front de la durabilité, pour la réputation, l’accès aux marchés, aux financements, à l’assurance, etc. …

Des mécanismes (certification, etc.) sont prévus pour éviter la tentation du socialwashing ou du greenwashing, autre grand sujet d’action de l’Union européenne *.

*Cf. dernièrement la Directive n° 2024/825 du 28 février 2024 sur la protection des consommateurs en matière d’allégations environnementales trompeuses.

Précisons que la durabilité repose sur 12 thématiques sous-jacentes, répartis en blocs normatifs :

  • 5 normes « ESRS » (European Sustainability Reporting Standards) E1 à E5, relatives à l’environnement ;
  • 4 normes sociales (dont les normes ESRS S1 sur les effectifs de l’entreprise et ESRS S2 sur les travailleurs de la chaîne de valeur, au travers desquelles la santé et la sécurité au travail seront appréhendées, notamment en termes de métriques – cf. référence S1-14) ;
  • 1 norme sur la gouvernance en matière de conduite des affaires.  

La nouveauté réside ici notamment dans l’analyse de « double matérialité » ou de « double importance » : d’un côté une matérialité d’incidence positive ou négative de l’entreprise sur les domaines de durabilité ; de l’autre, une matérialité financière (importance des incidences financières pour l’entreprise liées aux sujets de durabilité en termes de risques et d’opportunités).

Sujet très stratégique et organisationnel donc, pour lequel les professionnels HSE, RH et juridiques vont avoir un rôle important à jouer, tant en termes de valorisation de leur mission que de contraintes de pilotage (surtout pour les sociétés qui n’étaient pas soumises à l’obligation de déclaration de performance extra-financière et qui vont reveler de la CSRD).

*Précisons entre autres que la durabilité s’invitera dans le dialogue social au sein des entreprises concernées, au travers de nouvelles obligations d’information et de consultation des CSE (cf. art. 26 de l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023).


Du reporting à la diligence raisonnable en vue de réduire les impacts (CSDDD)

 
En lien avec ce qui précède, le projet de directive européenne n° 2022/0051, dite « CS3D » (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), vient d’être adopté par le parlement européen le 24 avril 2024, au terme d’âpres discussions.

* Son adoption par le Conseil Européen est annoncée pour le 23 mai 2024 avant publication au JOUE, puis transposition par les Etats membres dans leur droit interne sous 2 ans d’ici 2026.

La France, qui était pionnière en matière de devoir de vigilance des grands donneurs d’ordres suite à la catastrophe de l’effondrement du Rana Plaza au Bengladesh (2013), devra à ce titre faire évoluer son cadre juridique (cf. l’obligation de plan de vigilance raisonnable figurant actuellement à l’article L225-102-4, recodifié au L225-102-1 au 1er janvier 2025).

Le dispositif de due diligence et de responsabilisation des grands donneurs d’ordres (dont le seuil d’assujettissement sera sensiblement abaissé *), sera renforcé.

*A terme en 2029, seront concernées les entreprises de plus de 1 000 salariés et réalisant un CA mondial supérieur à 450 millions d’euros.

Les entreprises concernées devront ainsi continuer à identifier, remédier ou supprimer au moyen d’un plan d’action et de procédures adaptés, les « incidences négatives » dans le domaine des droits humains, de la santé, sécurité et de l’environnement, résultant de leur propre activité, mais également de celles de leurs filiales et au-delà de leurs partenaires commerciaux.

Parmi ces externalités négatives, sont notamment visées :

  • Les conditions inappropriées de santé et de sécurité au travail (notamment la violation du droit de jouir de conditions de travail justes et favorables, notamment un salaire équitable, une existence décente, la sécurité et l’hygiène du travail et la limitation raisonnable de la durée du travail, conformément à l’article 7 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) ;
  • Plus généralement, les atteintes aux droits fondamentaux des travailleurs (telles que violations du respect de la vie privée et du droit à la protection des données, discrimination, aspects sanitaires particuliers liés aux substances dangereuses, menaces pour la santé et la sécurité des travailleurs en général, travail forcé, violations des droits de l’enfant (etc.), lorsqu’elles sont constatées à la fois au sein de l’UE mais également dans les chaînes de valeur des entreprises situées en-dehors de l’Union.

La vigilance étant élargie aux supply chains, cela constitue une évolution importante puisque la législation européenne dans le domaine HSE n’avait pas jusqu’à lors de portée extraterritoriale. 
A noter sans rentrer dans plus de détails qu’afin de rendre plus effective cette obligation, la directive institue une autorité de contrôle européenne, et impose aux Etats de définir des sanctions en cas de manquements, plafonnées à 5% du CA net mondial réalisé par l’entreprise …

Ainsi, l’articulation avec la durabilité est clairement établie : reporting et due diligence se superposent et viennent se compléter, même si les périmètres sont différents.

 

Un nouveau droit de la RSE pour une nouvelle culture d’entreprise ?

 

Clairement, la RSE bascule inexorablement du champ de la soft law vers celui du « droit dur », alimenté par une attente sociétale forte en vue de la protection de l’environnement et de la santé !

En parallèle, ce phénomène se traduit par une judiciarisation croissante, menée par de nombreuses parties prenantes extérieures aux entreprises (ONG, syndicats, associations, particuliers, consommateurs, actionnaires minoritaires, etc.)

*Rappelons que même si le dispositif actuel de devoir de vigilance a donné lieu à un contentieux assez limité en France, la jurisprudence s’est néanmoins montrée sévère et particulièrement exigeante lorsqu’elle en a eu l’occasion. Ainsi, un jugement du 5 décembre 2023, le Tribunal judiciaire de Paris, saisi justement par un syndicat de l’entreprise en lien avec des problématiques internes au groupe et d’ordre purement sociales (pénibilité, santé-sécurité, RPS, sous-traitance, etc.), a estimé que le plan de vigilance mis en place par l'employeur, et notamment sa cartographie des risques, ne satisfaisait pas aux exigences légales en termes de niveau de précision, en dépit de son apparente régularité formelle.

Citons également une volonté de renforcer la répression pénale en matière d’atteintes à l’environnement (cf. nouvelle Directive (UE) n° 2024/1203 du 11 avril 2024 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal).

Ce nouveau contexte doit questionner les directions d’entreprise sur la trajectoire d’adaptation du modèle d’affaires à ces nouveaux enjeux, tant en termes de risques que d’opportunités, y compris dans les petites structures à qui leurs clients demanderont de s’aligner ...